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La volonté de décision

  • L'Etat pluri-national - La volonté de décision (X)

    Je termine la mise en ligne de ce court essai politique que je publierai en dix fragments comme un feuilleton à périodicité aléatoire, entre un et trois jour. Le dernier épisode ci-dessous.

     

    X

     

    Si je m’en tiens à la définition de la post nationalité donnée au dernier épisode, la distinction hors de l'État-nation entre le principe identitaire (la nation) et l'intégration par le droit (la décision) conduit à un antagonisme entre l'identité et la participation. Le sociétalisme le plus avancé, issu d'une substitution parfaite de la société à la Nation dans ce que je pourrais appeler l'État-société, implique en démocratie de fait un relativisme d'État. La légitimité de l'État-société se situe alors dans le seul lien social qui est une pratique du territoire. Le sociétalisme est donc une approche pragmatique de la communauté ou une communauté qui aurait évacué tout idéal communautaire – qui ne se représente plus ou se représente dans son universalisme. L'on peut se poser quelques questions motivées sur ce lien social, pour ce qui est de sa force et de son effet centripète, de sa nature qui paraît très complexe et inconsistante, de sa réalité et de sa durée à l'épreuve des faits. Hors de la nation, d'où proviennent en démocratie les valeurs qui font communauté ? Et pour pallier, ces valeurs en démocratie peuvent-elles être légitimées de façon extérieure aux citoyens, ce qui a été possible dans des régimes où le peuple n'est que sujet ? La République romaine est morte de la déliquescence du mos maiorum ; l'Empire s'est très bien accommodé de la diversité ethnique, culturelle et du syncrétisme. Le défi des extra-structures consciente de leur devenir sera de faire le deuil de la nation au sens classique de l'État-Nation, pour former un État plurinational [dont les contours des subdivisions administratives pourraient ne pas correspondre aux anciennes nations si l'on valorise, au nom de la reconnaissance des mouvements autonomistes, les identités locales] dans lequel tout individu participant à la société devrait avoir un pouvoir de décision, sans nier une identité (non une ipséité) culturelle et historique partagée, moins inclusive que la nation, jamais ethnique, mais qui ne peut se limiter non plus au simple choix d'un modèle politique. Pour ce faire, les extra-structures devront résoudre ce déficit de concept qui ne peut supporter en démocratie deux sources de légitimité : substructurale, celle de la communauté inaliénable ou de la Civilisation, et structurale, celle du peuple particularisé, et ce afin d'assurer la coexistence d'une souveraineté populaire exigée sur la base la plus large possible, et un absolutisme de valeur, ou des principes légitimés par eux-mêmes et voués à la transmission dont l'État à partir de sa base souveraine est garant. En Europe, pour le dire autrement et de façon sans équivoque, ce serait faire le choix d'une Union prenant en compte ses intérêts périphériques, et majoritaires de droit, une Union en deux mots plus continentale, close et tournée vers le continent. Il n'y aura que trois autres alternatives : ou les constellations post nationales (voir IX) qui ne peuvent conduire qu'à un communautarisme de fait, système mou plus qu'anomique, n'ayant de positivité que dans l'instant et incapable de se perpétuer, ou la poursuite dans la voie actuelle caractérisée par le manque de légitimité des institutions, de graves déséquilibres entre les centres et les périphéries, une abstention forte des citoyens (voir II-III), ou le césarisme au bénéfice d'un exécutif national ou transnational centralisé et fort dans lequel le rapport direct au peuple à travers le plébiscite et le referendum ne sera plus qu'une mystification ou la concession contre monnaie de singe de notre volonté de décision.

     

  • La postnationalité selon Jürgen Habermas - La Volonté de décision (IX)

    Je poursuis la mise en ligne de ce court essai politique que je publierai en dix fragments comme un feuilleton à périodicité aléatoire, entre un et trois jour. Le neuvième épisode ci-dessous.

     

    IX

     

    La postnationalité plusieurs fois évoquée ici, et évoquée de même quoique largement édulcorée par Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt dans leur manifeste (voir VIII), renvoie à une notion du post-national telle que formulé par Jürgen Habermas dans Die postnationale Konstellation (1998). Je développe : il s'agit d'une alternative à l'État-Nation, en dehors de ses frontières par un fédéralisme plus ou moins intégral, et substantiellement par une dissociation du principe identitaire et de la pratique de la démocratie. Cette conception du post-national par Habermas, bien qu'imparfaite, a un mérite, celui d'interroger notre époque sur les moyens d'affirmer le primat du politique, ce qui construit un « espace territorial », et la valeur éthique et pratique du droit... Dans le premier essai cité, Die postnationale Konstellation, qui est suivi par deux autres, traduits en français et rassemblés, sous le titre Après l'État-Nation, je relève deux points qui correspondent bien à mon propos : d'abord le caractère volontaire du choix post-national, ensuite au cœur de la réflexion le découplage net de la souveraineté populaire et de la souveraineté territoriale pour donner a posteriori les faveurs à une conservation de la première. Ceci-dit, plus qu'à l'approfondissement de la légitimité démocratique des institutions européennes, Habermas s'intéresse plutôt dans une perspective social-démocrate (keynésienne) et universaliste, à la préservation des politiques sociales, inefficaces à l'échelle de l'État-Nation, à une échelle transnationale par le développement de solidarités. S'appuyant sur une modélisation historique de la constitution des État-Nations qui auraient construits leur identité à partir d'ensembles à l'origine purement administratif, Habermas postule la fondation par le droit de ces solidarités transnationales. La souveraineté populaire en Europe n'est plus alors qu'un moyen en tant que procédure, au même titre que la formation de l'opinion à l'échelle du continent en tant que pratique, au développement des solidarités transnationales. Bien entendu si ces solidarités impliquent une redistribution – nécessaire – des centres vers les périphéries, la redistribution ne pourrait être pour l'heure qu'une redistribution de bon vouloir (l'empathie) et non pas contrainte par une participation à égal des périphéries. Quoique très europhile, Habermas ne pousse pas à la limite son discours dans le sens de la fédéralisation, en tout cas bien moins que dans celui du sociétalisme. C'est sans doute là qu'il est le plus subversif et gauchement ambitieux. Le principe de constellation post-national je le répète est efficace à deux échelles, en dehors et en substance ; il ne se limite pas à une mise à hauteur de la souveraineté populaire suivant en cela les transferts de compétences, mais est une redéfinition même de la communauté souveraine et fédérée fondée non plus sur des critères identitaires exclusifs mais sur deux critères ouverts que sont : le droit (la constitution) et la participation (le débat), c'est-à-dire, ce que l'on dot appeler un sociétalisme, en réponse autant aux remises en cause de l'État que de la Nation par l'Union européenne autant que par le multiculturalisme. Une telle association de la démocratie et de la société, de la largeur et de l'ouverture de la base citoyenne serait inédites. Les modélisations historiques produites par Habermas omettent un détail, de taille s'il en est, la construction de l'identité nationale par l'État et à partir du droit débute bien avant la rédaction des constitutions démocratiques et est moins le fait de citoyens que de sujets. Seul un exécutif fort, historiquement, porteur d'un absolutisme de valeur, a été a même de supporter en son sein une société ouverte sans se porter préjudice – à l'exception près des Provinces-Unies du XVIe au XVIIIe siècle mais l'extra-structure faible a été dominée par un centre : la Hollande dont la puissance économique a été la légitimation d'un hégémon politique.

     

  • L'essence du fédéralisme - La Volonté de décision (VIII)

     

    Je poursuis la mise en ligne de ce court essai politique que je publierai en dix fragments comme un feuilleton à périodicité aléatoire, entre un et trois jour. Le huitième épisode ci-dessous.

     

    VIII

     

    Ce que je viens de décrire comme un « euroscepticisme réactionnaire » est le constat de l'échec de l'Europe d'après-Maastricht caractérisé par l'importance des transfert de compétences, l'émergence de l'Allemagne comme centre de plus en plus hégémonique, remettant en question les équilibres traditionnels, et la conversion des partis de gouvernement à une politique intransigeante de l'offre, qui les rend plus réticents à l'interventionnisme économique ou leur en coupe les moyens ; le capital allant toujours au plus simple, l'ouverture convenue des frontières n'a pu conduire qu'à un cannibalisme. Le discours fédéraliste actuel, attaché à une conception hamiltonien de l'État, suppose qu'une plus grande intégration résoudrait les problèmes d'ordres institutionnels – certains parlerons de fuite en avant – sans s'interroger sur la nature même de cette intégration, ses ressorts ni ce qu'elle remet en cause. Je devrais peut-être biffer cette dernière phrase qui ne me satisfait pas en plein, elle est trop caricaturale, impropre à traduire la physiologie d'un courant au complexe. J'entends plutôt montrer sa duplicité, son caractère plurivoque en abordant ici la question du fédéralisme à partir d'une critique du livre Debout l'Europe de Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt (2012), pour une révolution postnationale en Europe, qui énonce les idées du fédéralisme européen considéré comme le plus radical et politique. Je me bornerai à analyser trois principes, évidents bien que tacites dans leur manifeste, qui me semble bien décrire l'essence du fédéralisme aujourd'hui :

     

    • La question de la démocratie n'est évoquée qu'à la marge. L'Union européenne est envisagée seulement de façon utilitaire pour remplir des objectifs économiques : performance, croissance pour les uns, politiques d'endiguement des nations pour les autres. L'élection au suffrage universel direct d'un président (et l'impôt direct) brièvement évoquée par les auteurs n'est à leurs yeux que le moyen d'une plus grande indépendance vis-à-vis des États ; elle n'est pas considérée du point de vue du droit comme un pas en avant dans la prise en compte nécessaire d'une représentation juste.

    • La méfiance envers la souveraineté des nations, propre à tout fédéralisme vertical et ascendant, est exprimée mais atteste essentiellement d'une double nature de ce fédéralisme fondée soit dans le ressentiment, soit dans une approche utilitaire et pratique. Le fédéralisme apparaît comme le moyen de liquider un nationalisme démonisé et haï au prétexte qu'il serait seul responsable des maux du XXe siècle et plus spécifiquement des holocaustes, soit comme un moyen de se hisser malgré les réserves des États à l'échelle des empires : Chine, Inde, États-Unis, Russie afin de persister sur la scène internationale.

    • L'idée d'Union européenne est coincé entre un pragmatisme de l'immédiateté et une l'utopie, entre une pratique de la politique concrète et gestionnaire conjuguée au présent et sensé se substituer à une idéologie avec des objectifs défini, et une eschatologie libertaire – remettant dans les deux cas en cause le rapport à l'Histoire soit niée dans le présentisme soit exclue par l'avènement d'un temps universaliste anhistorique. L'Histoire est réduite à une lecture du passé simpliste, lacunaire pour ne pas dire inexacte, avec lequel il faudrait rompre. En cela la construction européenne et plus précisément le projet fédéraliste s'affiche comme une véritable révolution mais c'est une révolution réformiste qui se satisferait du simple amendement des institutions actuelles qui ne sont en rien jugées viciées par nature.

  • Sur l'empirisme des extra-structures - La Volonté de décision (VII)

    Je poursuis la mise en ligne de ce court essai politique que je publierai en dix fragments comme un feuilleton à périodicité aléatoire, entre un et trois jour. Le septième épisode ci-dessous.

     

    VII

     

    Comme je l'ai déjà signalé, les extra-structures parce qu'elles remettent en cause des échelles de décision jugées naturelles ou de droit souverain, et parce qu'elles grèvent les hommes en place de leur autorité, ne sont jamais que le dernier recours ou des choix par défaut. Une des spécificités de la construction européenne est ainsi d'avoir progressé, un terme très mal choisi, seulement par l'intermédiaire de crises. De même les premières intercommunalités sont imaginés pour répondre au problème posé, dès la fin du XIXe siècle, par les compagnies électriques de distribution réticentes à s'implanter en milieu rural. Ces choix profondément politiques, qu'ils soient européens ou locaux ne sont en réalité jamais l'objet d'une politique, si ce n'est une politique chancelante et bancroche des petits-pas, poussée par l'économie, une suite empirique d'erreurs et de corrections erronées parce qu'il manque de tout et en premier d'une idée, d'une vision, d'un plan d'ensemble. De telle sorte que l'idée d'extra-structure en tant que modèle ou programme est point à point disjointe de la pratique fataliste des extra-structures telle qu’elle a cours. Les pionniers du fédéralisme (Spinelli, Coudenhove-Kalergi) n'ont dans les faits pas donné le cap, sinon celui d'ambitions amendées, de projets amputés sans cesse jusqu'à n'être plus que des mémorandums sans perspectives. Force est donc de constater que les représentations et intérêts nationaux ont pris le pas sur le projet d'une Europe plus compacte. Comme jamais aujourd'hui la construction européenne se caractérise par son euroscepticisme. Le concert des nations cache en somme un véritable cancer des nations. L'élargissement tel qu'il a cours,  en tant que vouloir des centres d'intégrer à l'Union leur zone de confort respectivement le Sud et l'Est, n’est en fin de compte qu’un symptôme de la résurgence du nationalisme le plus morbide à travers le mythe néolibéral de la concurrence. L'Europe a perdue le fil d'une complémentarité non concurrentielle, et n'a pas su faire table rase des principes de l'économie de marché à l'intérieur de ses frontières ; aussi le nationalisme économique sous les avatars de la concurrence et du dumping interne participe comme le nationalisme politique (voir VI) à une rentrée dans le rang.  Si les années 1960 à 1980 ont permis la synergie de certaines industries spécialisées, dont le fleuron, dans le secteur aéronautique, Airbus est devenu un consortium, qui ont démontrés à long terme leur compétitivité sur les marchés mondiaux. A partir des années 1990-2000, une autre logique est mise en place qui n'est plus une synergie, une mise en réseau optimisée mais au contraire une privatisation et une mise en concurrence des anciens grands établissements publics de service : énergie, transport, courrier... Aujourd'hui un consortium comme Airbus ne pourrait plus voir le jour, et j'imagine par uchronie le marché européen de l'aéronautique sans un grand constructeur de cet espèce : les gesticulations concurrentielles d'entreprises aéronautiques pour savoir laquelle d'entre-elle fabrique le plus joli planeur. La volonté de décision est une sortie de cet empirisme, et un retournement de l'agressivité envers nos propres membres en direction des marchés économiques mondiaux soit en définitive, en défi au pragmatisme une réintroduction de l'idée dans la pratique des extra-structures.