I
J'aimerais qu'une marée basse découvre le gué
retirée
- jusqu'à son bassin forclos
J'aimerais qu'une marée retienne loin
Le peste large qui nous faisait peur
Avant-hier
Et que nous nous vantions d'avoir dompté
Hier
Et par lequel tu nous punis
Aujourd'hui
J'aimerais fouler la terre meuble
D'un pied solide et agile
Revoir par mes yeux
L'abondance des champs,
des forêts
L'abondance perdue
pour l'abondance.
J'aimerais que cesse d’emporter par delà les écluses
Les eaux grossissantes du fleuve
Les âmes noyées
des paysages
Avant qu'il n'aie été rendus
Inhospitalier
Corrompues
par le débord.
Que les cours retrouvent leur lit
Comme aux premières roses
de l'enfance
J'aimerais
Sous quinze coudées d’eaux profondes
Que mon frère
isolé
Ne se répande plus
Des hommes ont crû
Des hommes
sans consistance
ont crû d'entre nous même
Et nous n'existons plus
- déjà
J’aimerais me délier des transports
Déjà – la violence est partout
Plus rien ne peux empêcher
L'eau de couler
L'eau coule
à flux continu
En un flux continu
Coule à flot
Et la terre a perdu ses capacités d'absorption
Rien ne peut plus empêcher les pluies
De s'abattre en vogues éphémères
Ni les sources de sourdre
Vagues successives
- d'appétence.
Plus rien ne peux l'empêcher.
Une voix m'a tiré des rais
du Déluge
Une voix a soustrais mon foyer
à la catastrophe
Mes enfants, ma femme
Ont été épargné
J'ai perdus mes biens
mais pas ce qui fait la bonté
Une voix m'enjoignit de construire un arche
Refuge pour ce que j'ai de plus cher :
mon foyer.
Une voix m'enjoignit de construire un abri
Jusqu'alors,
Nous n'avions connu que des radeaux de détresse.
Une voix m'enjoignit
de faire entrer dans l'arche le mâle et la femelle
Et quand la terre sera sèche,
De répéter la chaîne
Qui s'était perverti.
Rien ne peut plus empêcher l'eau qui
gicle
L'homme n'arrêtera
jamais l'eau de grossir
jamais,
il n'a su la maîtriser
Un seau n'en prélèvera
Que sa propre contenance
Et qu'elle force faut-il pour écoper
Ce qu'une moindre fissure
Réduit à néant !
Un drain ne retiendra pas
quand le ruisseau déborde,
inonde et s'épand
Les eaux déchaînées pour soumettre.
Le moulin a transmué le courant
En force mécanique
mais jamais ne dirigera le fleuve
Un navire, durant sa traversée
n'aura jamais à sa main l'océan
Et moulin et navire ne pourront au mieux
qu'en faire profit
à leurs périls.
Une digue a cédé les polders
aux marées fortes
Ce que nous avons gagné,
Dont la terre porte encore le goût du sel
Sera la première chose à rendre
Rien, ne peux l'empêcher.
Déjà – Une voix plus obscure me prévient
Je ne mérite pas cette distinction
Je ne méritais rien
sinon la surdité
et la terreur
Indigne – j'ai été cupide,
j'ai violé
Indigne – j'ai vénéré une idole
que la pluie brouille
à la surface des eaux
J'étais corrompu – j'y trouvais
Une joie – toute humaine.
J'ai cru bon de permettre, en toute indignité
J'ai consumé.
Comment serais-je maintenant
la personne ?
Je ne mérite pas d'être
Le dernier adam d'un monde en ruine,
englouti
Le premier adam pour reconstruire ta Cité
Quand la terre sera sèche.
J'attends un signe
que la décrue s'amorce – enfin
vienne la résorption
Que la terre étanchée ne prête plus la soif
à mes frères
- noyés
déjà
Que le jour et la nuit
comme le cours des saisons
Succèdent aux orages absolus
J'aimerais
qu'aux prochaines semailles
sur des champs ravinés
Nous prêtions la main,
respectueux toujours
En l'attente des franches moissons
Et que cela ne cesse plus.
II
L'homme qui sortira des eaux sera de lave
L'homme qui jaillira
sera de lave brûlante
Cet homme sera
de lave
Il sera de lave visqueuse
Il sortira des eaux
empruntera les voies tracées par l'eau
les empruntera avec persévérance
Il empruntera les voies tracées par l'eau,
pesamment
et les comblera
et les fera sienne
L'homme qui jaillira sera de lave
et repoussera l'eau qui court
il repoussera l'eau présente
L'homme qui sortira des eaux
s'édifiera sur l'eau
L'homme qui émergera viendra des entrailles
il sera la parole et l'action
qui se jette dans l'eau
Il sera la magnanimité
qui se déverse
en couches successives
L'homme qui émergera des eaux fera un écoulement lourd
où chaque position retient sa forme
et ne remet pas sa forme au jeu
et ne la renie pas
L'homme viendra des entrailles
en couches brulantes
Il se jettera par couche successives dans l'eau
Il se déversera en couches épaisses
Il se déversera en coulée
Il se déversera avec lenteur
En un épanchement délibéré
En un épanchement éthique
L'homme qui croulera sur l'eau sera de lave
Il sera brûlant
puis froid
Il sera bouillant
puis calme
La lave
sera prête à devenir solide
La lave deviendra concrète
la lave sera prête
à se sédimenter
jusqu'à atteindre la bonne épaisseur
jusqu'à atteindre
une épaisseur suffisante
pour émerger
une épaisseur libre
pour sortir de l'eau
La lave sera prête
à s'étendre en toute direction
L'homme qui se lèvera alors sera de lave
et coulera en lents bourrelets
Jusqu'à fonder le nouveau
Continent.