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Bribes

  • Variations sur le Psaume 69

    I

     

    De la boue, surnageons.

    Sortons la tête, les épaules

    de la boue froide, surnageons.

    Cherchons la planche de salut.

    Accrochons nous aux bois flotté.

    Emporté par la boue froide

    et sans voix qui désuni, 

    déchire.

    La terre résiste et cède par plaques

    arrachées, entraînées par la poussée,

    La boue gronde et geint,

    inarticulée, étouffe.

    Crache. Crache-la par la bouche

    avant qu’elle n’emplisse tes poumons.

    La boue sans voix, fait taire la voix qui crie,

    cette voix qui implore la grâce,

    cette voix qui résonne et s’insurge.

    La boue gronde, inarticulée

    et bruit un rire de gorge sèche.

    Crache-la

     

    II

     

    La tourbe est spongieuse et retient l’eau.

    Les sphaignes habituées 

    à ces conditions de vie difficiles

    rejettent dans l’eau leur acidité

    qui contraint la dégradation des dépôts.

     

    Sur cette même tourbe, 

    poussent les droséra

    poussent des plantes foisonnantes

    des plantes carnivores qui ont faim.

    Sur la tourbe poussent des plantes

    qui se mangeraient elles-même,

    qui se mangeraient entre elles.

     

    III

     

    Elle aurait pu être le feu, 

    elle aurait pu être l’eau :

    elle est un moindre mal ;

    la boue ne brûle pas, 

    elle ne noie pas les plaines immenses 

    où son cours l’épanche. Elle dévaste

    Mais aux proportions raisonnables de la coulée.

    Elle abîme. S’insinue.

    Elle n’est jamais responsable 

    car la boue est non-lieu

    La boue n’aime que l’espace sans limite.

    n’a pas d’attache.

    Elle n’aime que la chute.

    Elle crée la chute pour poursuivre.

    Elle ravine, solliflue, colluvione.

    Terre menteuse, eau menteuse

    froide, sans voix, sans parole,

    Protège tes yeux de la boue qui durcit la cornée

    – le désastre a besoin d’un témoin.

     

    IV

     

    La tourbe est fossile.

    Elle est temps organique accumulé, amassé,

    décomposé pour faire matière régénérante.

    La tourbe blonde porte en elle 

    des milliers et des milliers

    de générations de débris

    qui refont surface.

     

    V

     

    A quoi bon élargir la souille

    où nous nous débattons ?

    La boue rit des efforts répétés pour sortir.

    Elle s’écoule et conflue et surgeonne, 

    venue de tout côté.

    La boue a fait des éléments,

    un langage qui craquelle et picote.

    Elle irrite ; et rit d’irriter.

    La bête aiguillonnée renâcle encore

    mais il lui faudrait une langue pendue 

    comme une bourde solide pour regagner la rive

    – une langue qui lui donne le courage,

    des mots indigènes qui la maintienne

    hors d’une boue molle et glissante.

    La boue froide est un barbarisme, 

    sans voix, sans parole et sans langue.

    Dans la boue, qui nous éloigne, 

    nous emporte comme - j’étais silencieux.

    Maintenant elle emplit ma gorge 

    et ma langue se relie

              – Je parlerai comme de juste

     

    VI

     

    La tourbe conserve les corps intacts

    des paysans jetés en terre,

    jetés en tourbe dans leur suaires de lin rugueux.

    La tourbe conserve les corps séché

    des générations passées.

     

    VII

     

    La boue s'écoule informe, 

    contourne ou renverse,

    mêle tout ─ ce qui doit être séparé,

    confond tout, l’eau et la terre, 

    la terre et le ciel.

    La boue est l’action confondue.

    Désordre Contrordre Fatrasie.

    Elle est froide, sans voix, sans parole, sans langue

    et sans verbe.

    Appelles au secours la pierre dure et ancrée que le torrent n’ébranle :

    « Exauce-moi ! Extirpe-moi ! Relève-moi

    Pierre dure insoluble

    minéral, roche imperméable du salut,

    que je m’accroche et me hisse

    que j’émerge, que je reprenne haleine

    et de mes mains crevassées et rougies

    que j’endigue le débord

    que je canalise le cours d’iniquité

    que je comble les ravines

    que je remblaie les veines ouvertes.

    Cela sera très bon”.

     

    VIII 

     

    La tourbe nous réchauffe,

    jetée en pain noir dans les cheminées.

    Les mottes dessiquées donnent au feu 

    une flamme assez claire, et beaucoup de fumée, 

    remplissent l'air d'une odeur sulfureuse de succin et terreuse.

    La tourbe crépite et gémit

     

    IX

     

    Maintenons les yeux le nez la bouche hors de la boue froide.

    Maintenons à la lumière nos corps, indistincts dans le lit boueux,

    pour qu’ils se rejoignent et s’unissent sur la berge,

    ivres de retrouvailles.

    Accrochons-nous au passé en archipel, 

    emporté par la boue, qui corrompt 

    pour gagner en puissance.

    La boue détruit l’obstacle 

    qui s’oppose à son incontinence ;

    s’abat d’autorité, sans autre raison 

    que son incontinence.

    La boue abat les plantes aux racines 

    superficielles. Les arbres trop haut.

    Elle excave. La boue remonte au jour, les vestiges du passé. 

    Elle s’en habille pour en rire. 

    Elle charrie des pantins ridicule 

    et les rejette sur les bord du torrent.

    La boue rend au désordre

    ce qui fait désormais désordre.

     

    X

     

    La tourbe est terre qui régénère la terre.

    La tourbe est substrat.

    La tourbe est terre qui mélangée à la terre

    retient l’eau et la rend verbe.

    Elle nourrit, cette douce tourbe blonde 

    des sphaignes et des droseras.

     

    XI

     

    Avant même que le soleil l'ait durci

    et fait craquelé sa peau,

    avant que le vent l'écale,

    creuse de tes mains les canaux de dérivation.

    Draine la boue dans les tuyaux de grès

    qui feront la terre ressuyée.

    Creuse la fosse pour rebâtir la maison.

    Enfonce les pieux jusqu'à atteindre 

    un sous sol enfin stable

    – L’horizon se trouve en profondeur, 

    là où l'on coule les fondations.

    Élève les murs dans la pierre la moins friable.

    Coupe les planches dans le chêne le plus dur.

    Mets-y tout ton zèle, 

    même si ta maison te dévore.

    Sinon dans la désolation,

    que nous restera-t-il ?

    Une boue infinie, une boue bégayante,

    et nos yeux pour pleurer

    et mêler à la terre des larmes

    pour ajouter de la boue 

                          à la boue.

     

  • Chateau Lacassagne

     

     

     

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  • Autochtonie

     

    I

     

     Ce serait une piètre oraison que s'excuser

    les morts manquent ;

    ils rendent bègues

     C'est un paysage qui se répète.

    Un paysage que j'ai vu enfant

    Les collines

    Et les sapins sombres

    Les fermes au standard européen

    Une terre paysanne dont je suis

    Mais dont je ne voulais pas.

    Je suis né de la terre

    D'une répétition

    Comme langue fourchue

     

    II

     

    Je suis né d'une terre paysanne qui m'effrayait.

    Je ne me reconnaissais pas comme du cru

    J'ai crains d'avoir les mains sombres,

    et fortes du cul-terreux

    par manque d'affection.

    L'affection vient avec l'éloignement,

    elle vient d'un sentiment

    de mitoyenneté,

    Je suis né d'un paysage en sursis et d'un foyer,

    D'une terre d'une génération de plus,

    précédant la précédente.

    Cette terre où l'on descend

    Les corps.

     

    III

     

    Je suis né d'une répétition qui me dépasse

    La nostalgie est un paysage de collines,

    de sapins sombres, et de pacages

    Promis au bâti.

    Je connais les noms de chaque famille

    qui habite ici - reliquats de fraternités contadines ;

    Il n'en reste que de vieux os

    Et des jardins potagers.

    La nostalgie est un désarroi

    qui m'est trop cher, et fragile pour être confié.

    Je céderai plus volontiers ma terre natale

    à qui accepte ses morts

    l'histoire, le mythe ou le mythe de l'histoire.

     

    IV

     

    Ce serait une piètre oraison que questionne

    Sur quelle extraction je me fonde.

    Pourquoi remonter à l'origine ?

    Je suis d'une généalogie rustique,

    D'une race agreste

    Qui ouvrageait la terre

    sans la posséder.

    Je ne saurais plus comprendre

    Comment se transmets la terre

    à travers les corps.

    Né d'une terre immémoriale

    Ma mémoire ne remonte pas au-delà

    De deux générations.

     

    V

     

    Comment se transmet-elle à travers les corps ?

    La terre, étends sa gouvernance

    selon tel catéchisme, positif.

    Les corps passés sont une masse,

    Plus nombreux que les vivants

    Que les morts se reposent,

    nous laisserons s'effacer leur stèle !

    Depuis la butte, je vois la terre où j'ai grandit

    un paysage de collines et de sapins sombres

    Le toit de la maison familiale

    C'est une bonne terre

    La terre de laquelle nous sommes nés,

    n'est jamais mauvaise.

     

    VI

     

    Nous la laissons se reposer, retournée tant de fois

    au soc, à la bêche, écrasées les mottes

    Chacun – en somme – nié d'une terre

    oubliée, en jachère ;

    l'histoire est morte

    l'avenir est hors sol

    l'origine contrôlée

    l'homme n'est qu'un outil qui s'échange.

    Un plan d'occupation des sols est une conquête méthodique

    – une guerre de position contre le paysage

    Contre la civilisation vivrière de champs et vergers et des pacages

    Je suis nié d'une terre vivrière et vivante

    Et pourtant l'autochtone.

     

    VII

     

    Ce serait une piètre oraison que poursuivre.

    Je suis d'une génération qui pourchasse ;

    et celui qui pourchasse ne sait plus,

    Se vit comme l'interruption,

    interruptible.

    Je n'ai pas choisi de travailler la terre, sciemment

    Déjà, la génération précédente

    - non plus

    La génération précédent la précédente

    N'en a pas montré trop de regrets

    Nous avions honte de n'être pas urbains.

    J'ai fait des études ; elles m'ont fait perdre

    toute détermination.

     

    VIII

     

    Je suis le puîné d'une terre qui ne décline pas

    Son rejeton,

    à l'heure du remembrement

    C'est un paysage arraché de haies, de murets

    et de frondaisons que j'ai vu – en dernier

    L'inédit et les appétences arrachent les haies, les murets

    Et les frondaisons...

    arracheraient les stèles s'ils le pouvait.

    La terre vivrière ne rapporte plus rien

    - L'on connaît la fuite

    la terre paysanne n'est plus retournée,

    à peine nous retournerons

    à la terre.

     

  • Les Diluviennes

                                    

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       I

     

    J'aimerais qu'une marée basse découvre le gué

            retirée

    -        jusqu'à son bassin forclos

    J'aimerais qu'une marée retienne loin

    Le peste large qui nous faisait peur

                                   Avant-hier

    Et que nous nous vantions d'avoir dompté

                                       Hier

    Et par lequel tu nous punis

                                       Aujourd'hui

    J'aimerais fouler la terre meuble

    D'un pied solide et agile

    Revoir par mes yeux

    L'abondance des champs,

                         des forêts

    L'abondance perdue

                         pour l'abondance.

     

    J'aimerais que cesse d’emporter par delà les écluses

    Les eaux grossissantes du fleuve

    Les âmes noyées

                                       des paysages

    Avant qu'il n'aie été rendus

                        Inhospitalier

    Corrompues

                par le débord.

    Que les cours retrouvent leur lit

    Comme aux premières roses

                             de l'enfance

    J'aimerais

    Sous quinze coudées d’eaux profondes

    Que mon frère            

                                        isolé

                                       Ne se répande plus

    Des hommes ont crû

    Des hommes

                            sans consistance

                            ont crû d'entre nous même

    Et nous n'existons plus

    -        déjà

    J’aimerais me délier des transports

     

    Déjà – la violence est partout

    Plus rien ne peux empêcher

    L'eau de couler

    L'eau coule

                à flux continu

    En un flux continu

    Coule à flot

    Et la terre a perdu ses capacités d'absorption

    Rien ne peut plus empêcher les pluies

    De s'abattre en vogues éphémères

    Ni les sources de sourdre

    Vagues successives

    -        d'appétence.

    Plus rien ne peux l'empêcher.

     

    Une voix m'a tiré des rais

                            du Déluge

    Une voix a soustrais mon foyer

    à la catastrophe

    Mes enfants, ma femme

    Ont été épargné

                J'ai perdus mes biens

                mais pas ce qui fait la bonté

    Une voix m'enjoignit de construire un arche

    Refuge pour ce que j'ai de plus cher :

                                       mon foyer.

    Une voix m'enjoignit de construire un abri

    Jusqu'alors,

    Nous n'avions connu que des radeaux de détresse.

    Une voix m'enjoignit

                de faire entrer dans l'arche le mâle et la femelle

    Et quand la terre sera sèche,

    De répéter la chaîne

                Qui s'était perverti.

     

    Rien ne peut plus empêcher l'eau qui

                                                       gicle

    L'homme n'arrêtera

                                    jamais l'eau de grossir

                                    jamais,

                                       il n'a su la maîtriser

    Un seau n'en prélèvera

                                    Que sa propre contenance

                                    Et qu'elle force faut-il pour écoper

                                    Ce qu'une moindre fissure

                                    Réduit à néant !

    Un drain ne retiendra pas

                                   quand le ruisseau déborde,

                                       inonde et s'épand

                                    Les eaux déchaînées pour soumettre.

    Le moulin a transmué le courant

                En force mécanique

                                     mais jamais ne dirigera le fleuve

    Un navire, durant sa traversée

                                    n'aura jamais à sa main l'océan

    Et moulin et navire  ne pourront au mieux

                                    qu'en faire profit

                                    à  leurs périls.

    Une digue a cédé les polders

                            aux marées fortes

                            Ce que nous avons gagné,

                            Dont la terre porte encore le goût du sel

                            Sera la première chose à rendre

                                    Rien, ne peux l'empêcher.

     

    Déjà – Une voix plus obscure me prévient

    Je ne mérite pas cette distinction

    Je ne méritais rien

    sinon la surdité        

    et la terreur

    Indigne – j'ai été cupide,

                    j'ai violé 

    Indigne – j'ai vénéré une idole

    que la pluie brouille

           à la surface des eaux

    J'étais corrompu – j'y trouvais

    Une joie – toute humaine.

    J'ai cru bon de permettre, en toute indignité

    J'ai consumé.

    Comment serais-je maintenant

                            la personne ?

    Je ne mérite pas d'être

    Le dernier adam d'un monde en ruine,

                                                   englouti

    Le premier adam pour reconstruire ta Cité

    Quand la terre sera sèche.

     

    J'attends un signe

    que la décrue s'amorce – enfin

    vienne la résorption

    Que la terre étanchée ne prête plus la soif

                                                          à mes frères

    -        noyés

                                              déjà

    Que le jour et la nuit

                            comme le cours des saisons

    Succèdent aux orages absolus

    J'aimerais

                   qu'aux prochaines semailles

                            sur des champs ravinés

    Nous prêtions la main,

                            respectueux toujours

    En l'attente des franches moissons

    Et que cela ne cesse plus.

     

                                       II

     

    L'homme qui sortira des eaux sera de lave

    L'homme qui jaillira

                            sera de lave brûlante

    Cet homme sera

                            de lave

    Il sera de lave visqueuse

    Il sortira des eaux

    empruntera les voies tracées par l'eau

                les empruntera avec persévérance

    Il empruntera les voies tracées par l'eau,

                                       pesamment

                et les comblera

                et les fera sienne

    L'homme qui jaillira sera de lave

                            et repoussera l'eau qui court

                            il repoussera l'eau présente

    L'homme qui sortira des eaux

                s'édifiera sur l'eau

     

    L'homme qui émergera viendra des entrailles   

    il sera la parole et l'action

                            qui se jette       dans l'eau

    Il sera la magnanimité

                qui se déverse

                            en couches successives

    L'homme qui émergera des eaux fera un écoulement lourd

                où chaque position retient sa forme

                et ne remet pas sa forme au jeu

                et ne la renie pas

    L'homme viendra des entrailles

                            en couches brulantes

    Il se  jettera par couche successives     dans l'eau

    Il se déversera en couches épaisses

    Il se déversera en coulée

    Il se déversera avec lenteur

                En un épanchement délibéré

                En un épanchement éthique

     

    L'homme qui croulera sur l'eau sera de lave

    Il sera brûlant

    puis froid

    Il sera bouillant

                            puis calme

    La lave

                sera prête à devenir solide

    La lave deviendra concrète

    la lave sera prête

    à se sédimenter

                jusqu'à atteindre la bonne épaisseur

                jusqu'à atteindre

                une épaisseur suffisante

                                          pour émerger

                une épaisseur libre

       pour sortir de l'eau

    La lave sera prête

                            à s'étendre en toute direction

    L'homme qui se lèvera alors sera de lave

    et coulera en lents bourrelets

    Jusqu'à fonder le nouveau 

                                       Continent.