Méritons-nous les diplômes que nous avons obtenus ? N'ont-ils pas été mis à notre main ? Le sentiment d'échec et de déclassement ne vient-il du fait qu'on nous ait porté trop haut et indûment, que les études aient glissées en nous une présomption ?
Au fond, j'ai l'âme d'un larbin.
*
J'arrive en fin de contrat. Je serai sans doute prolongé. Que ce soit moi ou un autres, je ne fais pas le boulot plus mal, alors tant que je ferme ma gueule. Je croise les doigts. Rien n'est sûr... rien n'est jamais sûr... Je commence à devenir nerveux, certains soir je suis même irascible ; le stress. Pourtant, ne pas savoir ce que l'on fera demain, ce n'est rien. La précarité, c'est autre chose : quelquE chose de plus sournois, une violence peut-être moins physique et mentale que morale. Je me suis battu et tout ce que j'ai gagné, je l'ai perdu. A chaque fois, je suis descendu un peu plus bas dans les tâches de merde, je me suis retrouvé réduit à faire le larbin. Et lorsque j'ai repris du grade, c'était pour le perdre plus tard. Après les coins de table, j'ai gagné un bureau, puis on l'a attribué à un autre. Ce n'est pas grands chose mais lorsque l'on n'a rien, on se raccroche à des détails – on leur donne plus d'importance qu'il ne le faudrait. C'est comme ça. Quand on est précaire on doit apprendre à se voir moins brillant qu'on ne croyait. La précarité est une mécanique de frustration, de dévalorisation permanente. Si je me regarde dans un miroir, je finis toujours par voir un naze. Et les autres aussi finissent par le remarquer. Le problème ce n'est pas l'argent, ni l'incertitude, un peu quand même, mais surtout cette blessure intime, de retourner toujours à l'échec. Le plus violent dans la précarité c'est de se sentir blesser, de ne plus pouvoir se souffrir.
*
Écorchées, tailladées, rougies, gonflées, rêches....
Je n'ai plus les mains d'un intellectuel. Je les ai perdues. On me disait que j'avais des mains de pianiste, mais le froid les à tordues.
Commentaires
Jolie synthèse, camarade. J'espère que ce texte est le début d'une suite plus conséquente. Ah la génération. Ah l'époque. Ah les étudiants pauvres de Dostoïevski qui deviennent dingues. Pourquoi que tu ferais pas poète, finalement ? Ce serait plus du déclassement, ce serait du boulot alimentaire. Au pire, tu trouveras bien une hache et une usurière, non ?
Ce n'est pas le début de quelque chose, mais un passage d'un texte existant depuis déjà 2 ans : Les confidences lacérées. Avec les années j'ai la chance de m'être éloigné de ces sentiments, pourtant je le crois toujours justes lorsque l'on est encore dedans...