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Les Confidences

  • Les Confidences (extraits VII)

     

    J'ai voté « oui » au référendum européen. Je pensais qu'avec des institutions on pourrait faire quelque chose. Aujourd'hui je regrette. Sans doute parce que j'aurais aimé participer à la fête et qu'il est toujours plus agréable de faire partie du camp des vainqueurs quoique dans l'affaire on ne sait finalement pas trop qui est ressorti vainqueur. Mais aussi parce qu'au fond j’appartiens au camp du non : celui des laissés pour compte, et des mecs qui défilent pour la forme quand la CGT les appellent, malgré la pluie battante. J’appartiens à cette race des cons que les élites méprisent. Je fais partie des rêveurs à qui il faudrait inculquer le réalisme. A les entendre il faudrait m'apprendre un certains nombre de choses. Il faudrait refaire toute mon éducation. Je les écoute parler dans les médias, faire comme ils disent "de la pédagogie" : il me semble que le peuple est constitué de citoyens, des gens que l'on doit convaincre et pas de rejetons à instruire, à éduquer, à qui il faudrait un tuteur pour pousser droit.

    Nous sommes des laquais mais nous avons un honneur de laquais. J'accepte que l'on me batte mais pas que l'on me méprise, ni que l'on s'essuie les pieds sur mon dos.

    Le martinet… d'accord, mais pas le mépris.

     

    Pédagogie : tout compte fait, ce petit mot résume ce que nous avons fait de la démocratie : passer d'un rapport de maître à esclave à un rapport de maître à élève.

    Cela valait la peine de se battre.

     

  • Les Confidences (extraits VI)

     

    Est-ce que ce sont encore des italiens, les gens de Trieste ? C'est ce qu’ils ont voulu, pourtant ils me paraissent à moitié slaves, à moitié boches, à moitié juifs. Ailleurs en Italie, à Rome, à Naples, même à Milan et dieu sait qu'on en voit à Milan, je n'ai jamais croisé de filles comme ça. Elles sont différentes. Elles n'appartiennent pas à la même famille et même si je n'aime pas trop le mot, je le dis quand même, ce sont des italiennes pur jus quand là-bas à Trieste, il y a cet espèce d'abâtardissement propre aux confins. On sent que les cultures, et pas que les cultures, se sont brassés, les hommes et les femmes aussi. J'ai toujours été attiré par les confins, par ce qui se trouve à la frontière, en appendice ou dans les marches. Parmi les titres nobiliaires, celui de marquis est le plus joli à l'oreille. Et personnellement je ne me suis jamais senti aussi libre que lorsque j'étais le cul entre deux chaises, partagé entre plusieurs boulots et plusieurs villes. Pour les inconvénients on s'accommode et l'on peut prendre le meilleur aux deux endroits et jouer de l'un avec l'autre.

    L'abâtardissement est la liberté.

     

    (Je regarde sur une carte)

     

    Trieste. Est-ce que l'Orient-Express n'y faisait pas une station à l'époque ?

    J'essaie de réunir ce qui faisait un empire en suivant du doigt la ligne des frontières actuelles. C'était grand. Et je crois que cela avait un sens. Peut-être pas un empire avec tout le saint-frusquin mais une Europe moyenne. Chaque nom des villes que je lis sur la carte portent encore ce rêve de la Mitteleuropa.

    Seulement les peuples ne risquaient pas de s'entendre, la nation était déjà comme le ver dans le fruit. Elle a œuvré plus que les défaites et les « retards structurels » à ce que tout parte à vau l’eau comme en Yougoslavie, comme en Russie. Je le dis : on a fait prendre au peuple la liberté pour une lanterne. On sapé l'idée large d'unité. L'essence de la nation c'est de séparer. La Nation, qu'est-ce que c'est ? Rien, un particularisme qui a réussi. On nous a leurrés. Et nous nous sommes laissés leurrés. Pire nous avons participé au jeu de massacre. Au profit de quoi ? De dialectes et de danses folkloriques. Comme c'est minable. Comme ces discours ont fait du mal. Et ils en font encore. Partout. Partout.

    Très sincèrement, les Autrichiens, les Tchèques, les Polonais et les autres... mon cul des nations ! Ils sont tous d'une même lessive après six siècles à baiser ensemble. Et les français pareil. Il y a que des nationalistes pour se croire encore bien distincts et posséder un destin a part. Ils n'ont laissés aux peuples que la misère de leurs petits états. De voir ressortis tous ces drapeaux, d'entendre tous ces discours, cela me pèse, m'inquiète. Je ne veux plus qu'on les sépare, qu'on nous sépare. J'ai pour ces gens d'Europe une empathie naturelle. J'aime l'Est comme par préjugé. Peut-être parce que j'ai toujours préféré la terre ferme,

     

    le continent.

     

    L'Europe nouvelle ne pourra qu'apparaître là-bas parce que tout y est encore en train.

    Rien n'est encore complètement accepté, ingéré.

    Est!Est!!Est!!!

    (le nom d'un vin italien)

     

    Si seulement il leur était offert des solutions ! Des alternatives autres que le nationalisme.

     

    *

     

    Il y a quelque chose de revigorant dans ces insurrections lointaine : la Tunisie, l'Égypte, il y a quelques années l'Ukraine.... Nous avons presque l'impression de faire la révolution par procuration

     

    . mais quand elles s'enlisent, c'est-à-dire lorsqu'elle durent

    plus de quinze jours,

    j'en arrive à leur en vouloir pour le dérangement.


    *

     

    La liquidation des empires se fait au nom des nations.

    Un jour, la nation aura gagnée. Il n'y aura plus que des poussières. La nation détruit tout ce qui est grand. Elle déteste tout ce qui est grand.

    J'aimerais voir la Chine libre mais je crains ce moment car la Chine déjà ne sera plus. Les minorités auront réclamées leur dû. Pourquoi faire ? J'ai beau tourner la tête à droite et à gauche la plupart de ces petits états ne font que du désordre. Que des états croupions, des plaques tournantes pour le trafic, des bases militaires américaines ou les trois à la fois. Il n'y a pas de quoi se réjouir des républiques d'Asie centrale et encore moins du Kosovo. L'éclatement de la Chine si le pays devient de droit est inéluctable ; le grand empire sera ensuite remplacé par d'autres dictatures et d'autres maffias.

    Vive liberté ! Vive la nation !

     

     

     

  • Les Confidences (extraits V)

     

    Méritons-nous les diplômes que nous avons obtenus ? N'ont-ils pas été mis à notre main ? Le sentiment d'échec et de déclassement ne vient-il du fait qu'on nous ait porté trop haut et indûment, que les études aient glissées en nous une présomption ?

    Au fond, j'ai l'âme d'un larbin.

    *

     

    J'arrive en fin de contrat. Je serai sans doute prolongé. Que ce soit moi ou un autres, je ne fais pas le boulot plus mal, alors tant que je ferme ma gueule. Je croise les doigts. Rien n'est sûr... rien n'est jamais sûr... Je commence à devenir nerveux, certains soir je suis même irascible ; le stress. Pourtant, ne pas savoir ce que l'on fera demain, ce n'est rien. La précarité, c'est autre chose : quelquE chose de plus sournois, une violence peut-être moins physique et mentale que morale. Je me suis battu et tout ce que j'ai gagné, je l'ai perdu. A chaque fois, je suis descendu un peu plus bas dans les tâches de merde, je me suis retrouvé réduit à faire le larbin. Et lorsque j'ai repris du grade, c'était pour le perdre plus tard. Après les coins de table, j'ai gagné un bureau, puis on l'a attribué à un autre. Ce n'est pas grands chose mais lorsque l'on n'a rien, on se raccroche à des détails – on leur donne plus d'importance qu'il ne le faudrait. C'est comme ça. Quand on est précaire on doit apprendre à se voir moins brillant qu'on ne croyait. La précarité est une mécanique de frustration, de dévalorisation permanente. Si je me regarde dans un miroir, je finis toujours par voir un naze. Et les autres aussi finissent par le remarquer. Le problème ce n'est pas l'argent, ni l'incertitude, un peu quand même, mais surtout cette blessure intime, de retourner toujours à l'échec. Le plus violent dans la précarité c'est de se sentir blesser, de ne plus pouvoir se souffrir.


    *


    Écorchées, tailladées, rougies, gonflées, rêches....

    Je n'ai plus les mains d'un intellectuel. Je les ai perdues. On me disait que j'avais des mains de pianiste, mais le froid les à tordues.

     

  • Les Confidences (extraits IV)

     

    Le matin je pars ; les éboueurs vident les poubelles.

    Je rentre le soir, à l'heure où les roumains les fouillent, ils éventrent les sacs.

     

    *

     

    Les Lumières ont mis au cœur de leur pensée le doute et la critique. Pourtant ils sont nombreux ceux qui les considèrent aujourd'hui comme un dogme. Ceux qui les aiment le plus sont ceux qui les aiment le moins !


    *

     

    Ce que l'indifférence – son indifférence – remet en cause, c'est ma toute puissance, mon pouvoir, mon illusion de séduction.