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tragique

  • Usage de l’anatomie dans le style sécession d’Hermann Nitsch / Ornement et tragédie

     

    J'ai découvert Hermann Nitsch par hasard lors d'une exposition de ses dessins, ce ne sont pourtant pas ceux-là qui ont fait sa notoriété. J'ai été surpris de retrouver à ce point, chez un artiste contemporain plutôt habitué aux provocations trashes et aux happening, la tradition viennoise de l'ornement. L'ensemble m'a saisi, ces dessins exécutés sur des support d'assez grande dimension, tiennent encore, bien que certains puissent être abstraits, de cette figuration sans signification propre, de ces image pures et pourtant non litérales de la Sécession. Hermann Nitsch m'est apparu d'emblée comme une nouvelle Secession. Il revendique d'ailleurs cette influence de Klimt, Schiele et Kokoschka. Peut-il faire autrement tant celle-ci est apparente ? On retrouve la même répétition des motifs, l'accumulation de figures, l'ampleur de la ligne dans sa souplesse et dans son décuplement, lignes frivolesvolent volutes, l'omniprésence de la courbe : surtout ne pas laisser de place sur la toile ou le papier, la ligne est cependant plus violente plus accusée peu soignée comme dans une esquisse, le côté sale du travail est pleinement assumé voire revendiqué. La différence réside là, dans cette distance d'avec la préciosité de ses maîtres, en tout cas la préciosité de Klimt, moins de Schiele ; la couleur s'impose toujours riche mais sans luxe au contraire, dans ce qu'elle peu avoir de pétant et vulgaire : ce n'est plus celle de l'or mais de feutres fluorescents bleu et rose.

    Hermann Nitsch va au-delà de la Sécession viennoise sur un dernier point : dans son recours généralisé non seulement à un organique végétal mais le plus souvent anatomique. Il se fait fort de recourir à l'humain parmi ses sources de motifs. L'humain dans sa chair, dans ses fibres devient l'origine et le but de l'ornement. Les motifs qui s'accumulent ne sont plus géométriques ni des fleurs, ni des feuilles mais des cellules accolées en tissus, l'embrouillamini des intestins, le réseaux complexe des veines et des artères. Le corps humain dans son intégralité, dans ce qu'il a d'interne et/ou de microscopique est concerné et devient le sujet de l'œuvre tragique. L'ornement chez Nitsch est porteur d'une catharsis, prompte à provoquer le dégoût au moins de prime abord ; les odeurs du sang séché utilisé pour certaines toile n'aide pas à apaiser le haut-le-coeur. Hermann Nitsch est à l'opposé du paradis perdu esthétisant de Klimt. Il se dégagede ces dessins la terreur primordiale violente et sacré de la Cruauté qui relie l'humain au cosmos, l'homme-monde parmi les éléments naturels au même titre que les autres motifs feuilles, fleurs, formes géométriques élémentaires de la nature. Nitsch montre la viande que nous cherchons à cacher, à nous cacher ; il ne recourt jamais aux organes nobles. Klimt peignait des yeux, le seul élément humain à se retrouver dans son œuvre à l'état de décor ; Nitsch fait l'éloge du viscère et des bas morceaux. Sa tragédie est un humanisme de la bassesse. Comme pour Ladislav Klima, l'homme a aussi des tripes ; et le péché héréditaire de l'homme est de vouloir atteindre la perfection en liquidant la bassesse moyennant l'ablation des intestins. L'ornement de Nitsch renvoie l'homme à son être purement matériel et imparfait, et doit conduire tout au contraire du dégoût initial à un amour de sa chair et du corps vivant.

    Les dessins d'Hermann Nitsch doivent être considéré comme le pendant de son œuvre scénique, quelques uns sont d'ailleurs des ébauches de décors, mais à cette différence près que les dessins dépassent l'essence de l'activisme qui s'est trop souvent cantonné dans un esprit d'outrage et dans l'insane. Michel Houellebecq pour revenir aux Particules élémentaires analyse dans une de ses digressions sociologiques et critiques l'actionnisme viennois qu'il juge symptomatique du mal d'une époque. En comparant une évolution individuelle, celle Sade, à l'évolution sociale – est-ce que ce genre de comparaisonont un sens ? - il conclue qu'Hermann Nitsch est le représentant emblématique d'une dégradation achevée des valeurs morales, conséquence des idéaux libertaires. Hermann Nitsch en est l'aboutiossement, ce moment où des individus ayant épuisés les jouissances sexuelles assouvissent leurs pulsions dans le sadisme, la cruauté et la bestialité. Quoique excessive cette critique pointe une des limites patentes de l'activisme : son incompréhension du fait tragique. Les exemples donnés par Hoeullebecq ; des animaux écorchés sur scène, l'usage à tout crin de sang sont ce qui fait différer le happening abject de la tragédie. L'horreur tragédie grecque bien que visible reste mesurée, c'est une juste horreur. Personne n'y cherche du plaisir et la catharsis n'est pas jouissance. La tragédie est tout le contraire de l'affirmation de la liberté. Pour cette raison, les dessins d'Hermann Nitsch ne peuvent pas, à proprement parler, être considérés comme appartenant à l'activisme. Ils relèvent sans doute davantage d'un post-activisme : la violence et le désir libertaire intégral y étant canalisé bridés par une contrainte esthétique qui s'appelle l'ornement. C'est par l'ornement que Nitsch accède à aux idées d'ordre et d'amour.