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  • Haikai renga

    Il y a longtemps
    Que je n'avais pas pleuré
    Quelle volupté !


    Cette année les impatiences
    Ont fleuri au mois d'octobre

  • [Je t'ai reconnu a ton rire]

    Je t'ai reconnu a ton rire
    Tu ris trop
    Et d'un rire trop « de la gorge »
    Pour ne pas tricher
    Le rire vrai vient du ventre
    Le tien porte la marque
    De ceux qui luttent

  • Usage de l’anatomie dans le style sécession d’Hermann Nitsch / Ornement et tragédie

     

    J'ai découvert Hermann Nitsch par hasard lors d'une exposition de ses dessins, ce ne sont pourtant pas ceux-là qui ont fait sa notoriété. J'ai été surpris de retrouver à ce point, chez un artiste contemporain plutôt habitué aux provocations trashes et aux happening, la tradition viennoise de l'ornement. L'ensemble m'a saisi, ces dessins exécutés sur des support d'assez grande dimension, tiennent encore, bien que certains puissent être abstraits, de cette figuration sans signification propre, de ces image pures et pourtant non litérales de la Sécession. Hermann Nitsch m'est apparu d'emblée comme une nouvelle Secession. Il revendique d'ailleurs cette influence de Klimt, Schiele et Kokoschka. Peut-il faire autrement tant celle-ci est apparente ? On retrouve la même répétition des motifs, l'accumulation de figures, l'ampleur de la ligne dans sa souplesse et dans son décuplement, lignes frivolesvolent volutes, l'omniprésence de la courbe : surtout ne pas laisser de place sur la toile ou le papier, la ligne est cependant plus violente plus accusée peu soignée comme dans une esquisse, le côté sale du travail est pleinement assumé voire revendiqué. La différence réside là, dans cette distance d'avec la préciosité de ses maîtres, en tout cas la préciosité de Klimt, moins de Schiele ; la couleur s'impose toujours riche mais sans luxe au contraire, dans ce qu'elle peu avoir de pétant et vulgaire : ce n'est plus celle de l'or mais de feutres fluorescents bleu et rose.

    Hermann Nitsch va au-delà de la Sécession viennoise sur un dernier point : dans son recours généralisé non seulement à un organique végétal mais le plus souvent anatomique. Il se fait fort de recourir à l'humain parmi ses sources de motifs. L'humain dans sa chair, dans ses fibres devient l'origine et le but de l'ornement. Les motifs qui s'accumulent ne sont plus géométriques ni des fleurs, ni des feuilles mais des cellules accolées en tissus, l'embrouillamini des intestins, le réseaux complexe des veines et des artères. Le corps humain dans son intégralité, dans ce qu'il a d'interne et/ou de microscopique est concerné et devient le sujet de l'œuvre tragique. L'ornement chez Nitsch est porteur d'une catharsis, prompte à provoquer le dégoût au moins de prime abord ; les odeurs du sang séché utilisé pour certaines toile n'aide pas à apaiser le haut-le-coeur. Hermann Nitsch est à l'opposé du paradis perdu esthétisant de Klimt. Il se dégagede ces dessins la terreur primordiale violente et sacré de la Cruauté qui relie l'humain au cosmos, l'homme-monde parmi les éléments naturels au même titre que les autres motifs feuilles, fleurs, formes géométriques élémentaires de la nature. Nitsch montre la viande que nous cherchons à cacher, à nous cacher ; il ne recourt jamais aux organes nobles. Klimt peignait des yeux, le seul élément humain à se retrouver dans son œuvre à l'état de décor ; Nitsch fait l'éloge du viscère et des bas morceaux. Sa tragédie est un humanisme de la bassesse. Comme pour Ladislav Klima, l'homme a aussi des tripes ; et le péché héréditaire de l'homme est de vouloir atteindre la perfection en liquidant la bassesse moyennant l'ablation des intestins. L'ornement de Nitsch renvoie l'homme à son être purement matériel et imparfait, et doit conduire tout au contraire du dégoût initial à un amour de sa chair et du corps vivant.

    Les dessins d'Hermann Nitsch doivent être considéré comme le pendant de son œuvre scénique, quelques uns sont d'ailleurs des ébauches de décors, mais à cette différence près que les dessins dépassent l'essence de l'activisme qui s'est trop souvent cantonné dans un esprit d'outrage et dans l'insane. Michel Houellebecq pour revenir aux Particules élémentaires analyse dans une de ses digressions sociologiques et critiques l'actionnisme viennois qu'il juge symptomatique du mal d'une époque. En comparant une évolution individuelle, celle Sade, à l'évolution sociale – est-ce que ce genre de comparaisonont un sens ? - il conclue qu'Hermann Nitsch est le représentant emblématique d'une dégradation achevée des valeurs morales, conséquence des idéaux libertaires. Hermann Nitsch en est l'aboutiossement, ce moment où des individus ayant épuisés les jouissances sexuelles assouvissent leurs pulsions dans le sadisme, la cruauté et la bestialité. Quoique excessive cette critique pointe une des limites patentes de l'activisme : son incompréhension du fait tragique. Les exemples donnés par Hoeullebecq ; des animaux écorchés sur scène, l'usage à tout crin de sang sont ce qui fait différer le happening abject de la tragédie. L'horreur tragédie grecque bien que visible reste mesurée, c'est une juste horreur. Personne n'y cherche du plaisir et la catharsis n'est pas jouissance. La tragédie est tout le contraire de l'affirmation de la liberté. Pour cette raison, les dessins d'Hermann Nitsch ne peuvent pas, à proprement parler, être considérés comme appartenant à l'activisme. Ils relèvent sans doute davantage d'un post-activisme : la violence et le désir libertaire intégral y étant canalisé bridés par une contrainte esthétique qui s'appelle l'ornement. C'est par l'ornement que Nitsch accède à aux idées d'ordre et d'amour.

     

  • L’ÉCRITURE ORNEMENTALE CHEZ BIELY / MICHEL HOUELLEBECQ : LE FACTUEL CONTEMPORAIN

     

    Dans la littérature des années 20' quelques auteurs se rapprochent de l'art imaginal primitif et magique de Klimt. Il conviendrait de citer le courant russe dit de la prose ornementale et plus particulièrement, André Biely qui a senti comme personne la religiosité de l’ornement, et plus qu’un autre a participé de cette libération de l'ornement vis-à-vis de l'œuvre. Dans son œuvre, il n’y a plus de progression par le langage ; le texte avance par la seule parataxe des situations. L'éclatement du discours porté par la phrase musicale y est semblable à l’accolement des couleurs en peinture contre la nuance, et renvoie à une esthétique du fragment. Cette prose ornementale, magnifique dans Petersbourg, atteint son paroxysme dans Kotik Letaiev et les Carnets du toqué, sans doute du fait d'un renversement dans sa narration ; Biely abandonne le narrateur omniscient des premiers romans sensé décrire une réalité, des faits, pour le remplacer par une écriture àla première personne. Le « Je » permet de livrer sa représentation du monde, une individuation du regard éventuellement déformable comme dans ces deux romans par l’enfance ou la folie. Le passage où Letaiev évoque les éclairs brillant sous ces paupières lorsqu'il ferme les yeux mériterait de devenir l'étendard de toute prose ornementale, il témoigne au mieux de l’emprise de l'image sur le langage : ni propos ni récit. Dans ces romans autobiographiques le langage occupe l'espace et construit son univers propre à partir de sections de textes assez courtes et closes sur elles-mêmes.

     

    Chez Biely la narrativité, la litéralité s'amenuise. Le langage s'autonomise par rapport au récit. Le discours n’a plus de visée. Le récit n'est pas rompu il est étouffé ; l'ornement y trouve la vocation du boa constrictor qui s'enroule et contraint au maximum l'action par un langage à jamais illusoire et inutile. Le bavardage de la prose ornementale ressemble parfois au langage automatique de l'absurde. Les deux vides de sens, ils autorisent les locuteurs à parler alors même qu'ils n’ont plus rien à dire, en tout cas rien de significatif. Mais l’ornement est moins dans le divertissement et dans le constat d’incommunicabilité que dans le désir de faire, dans l'action à tout pris, l’ornement c'est la part irrationnel du langage performatif. Il est l’envers du factuel comme ânonnement idiot de nos actes afin de combler le vide de parole et d’éviter le silence et la peur. En fait, ornement et factuel sont tous les deux une lutte contre la mort et letemps : l’un par la recherche d’un surcroît de vie l’autre par le désespoir. En ce sens, le factuel est un échec de l’ornement.

     

     

    L'énonciation factuelle a été utilisée avec une acuité étonnante à la fin du XXe par Michel Houellebecq. Souvent décrié, il a le mérite de dévoiler ce caractère fondamentalement an-ornementale de notre époque. L'œuvre de Houellebecq est purement intellectuelle c'est à dire qu'elle choisit comme objet l'individu contemporain en tant qu'acteur social plutôt que l'humain, et progresse davantage par la réflexion de l'auteur que par sa sensibilité. D'un point de vue littéraire elle est l'expression d'un écrivain politique. Toute son entreprise vise à dénuder notre époque inspecter son corps morbide voire en faire l'autopsie, en pleine conscience de sa décomposition avancée. Houellebecq pose cette simple question, pourtant essentielle, comment écrire aujourd'hui ? Quel style utiliser pour traduire sans concession et donner une image juste du contemporain ? En réponse, le factuel qui est promu. Tout est fait, succession, platitude, une absence méthodique de métaphore comme si l'auteur avait cherché à traquer l'image littéraire qui aurait pu lui échapper – datée, impropre, inutile – à la moindre entournure. La langue maintien tout au long du récit son absence de style appliquée, en tension du début à la fin. Houellebecq développe une écriture clinique où tout doit être détaillé, où le sujet doit être saisi dans son exhaustivité. Le détailprend une place déraisonnable jusqu’à l’absurde ; il n'est pas question d'évoquer un repas sans mentionner la marque du frigidaire. Houellebecq s’impose ce scrupule scientifique jusque dans ce que la science à de plus sclérosée et quand elle a chassée ce qui peut lui rester d’humanité. Biely participe d'une transfiguration du réel, Houellebecq s'acharne à une étude rageuse de la banalité par un narrateur sans passion. Le seul élément qui pourrait paraître ornemental serait le jeu généralisé des digressions, partie intégrantes cependant de l'entreprise de destruction du style. J'ai voulu les classer en 3 grandes catégories :

     

    - les biographies : Houellebecq aime revenir sur la vie du moindre personnage mentionné. L'arbre généalogique de Michel Djerzinski dans les premiers chapitres des Particules élémentaires est inutile à notre compréhension de l’action et relève d'une spécification pathologique. Parfois ces me biographies rappellent ce que certains ont nommé chez Homère l'effet de retardement : des digressions sans arrière plan, qui constituent toujours le présent, le désir de ne rien laisser dans l’ombre de ce qui a été nommé. Mais ici, elles persistent dans l'ordre de l'inconséquent. - les essais sociologiques et littéraires : justifiés comme étant les réflexions du héros, ou insérés dans un dialogue entre les protagonistes. Dans ce cas les sujets arrivent comme un cheveu sur la soupe. strictement concentré sur le propos, Houellebecq les traite avec indifférence, en ne leur donnant jamais de dimensions formelles.

     

    - les définitions et détails encyclopédiques : Houellebecq fait l'étalage d'une érudition ironique, grotesque, puisée aux sources les plus basique : le petit Larousse ou Wikipédia. On l'a accusé de plagiat ; à tort, il y a plagiat lorsqu'un texte est repris dans un genre équivalent. Transformer un extrait d'article d'encyclopédie en élément poétique dans un roman ne peut pas être du plagiat ; à textes identiques il y aura toujours un surcroît de sens dans le texte littéraire.

     

    Le questionnement littéraire initial aboutit à son premier roman, L'extension du domaine de la lutte, dans lequel Houellebecq semble déjà épuiser sa technique. L’essentiel y sera formulé. Les romans suivants manquent de souffle et s'apparentent à une simple application du programme, souvent de façon mécanique, parfois outrée. Ils valent plus pour les aspects sociologiques étudiés que pour leurs qualités strictement littéraires, la précision scientifique du témoignage d’un malaise contemporain, celui de ces hommes ordinaires marqué par l’incapacité au bonheur, étreints par la solitude et broyé par une société fondée sur l'efficience. Houellebecq vérifie l'hypothèse monstrueuse de Broch : l'absence d'ornement est un style tourné vers le seul néant et la mort. Le style dépouillé né de l’idéologie utilitariste est à la fois un porteur et un vecteur du malheur de la société qui le sous-tend.