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Incarnations

  • Coagulations

     

    Puisses-tu du lait des Jersiaises modifier la nature

    comme fermentation qui fait monter l'acide.

    La présure rapprochant les micelles

    les agrègent en caillat.

    Puisses-tu former la pâte,

    égouttée du petit lait sur un drap fin

    et couchée sur le seigle pour former la croûte.

     

    Puisses-tu être la chaux mêlée à l'argile, 

    qui retient l'eau, assèche, affermi la portance

    Puisses-tu, éteinte et mêlée au sable, 

    avide d'eau, faire mortier, 

    solide comme roche que l'eau durcit.

    Puisses-tu, vive, augmenter la température

    et purifier les boues.

     

    Puisses-tu, aux parois des lésions, tisser les raies,

    retenir plaquettes et globules au piège 

    de la fibrine du caillot qui cicatrise.

    Puisses-tu déclencher la cascade qui obstruera la brèche,

    Évitera l'épanchement.

    Puisses-tu être la neuvième protéine, 

    qui soigne l'hémophile.

     

    Puisses-tu dans le poêlon chaud où le beurre grésille,

    sensible au feu te révéler.

    Puisses-tu former cette nappe blanche 

    de l’œuf en emprisonnant l'eau.

    Puisses-tu sous le fouet des colères

    donner une neige dense et légère.

    Le jaune éclatant ne monte pas.

     

    …..

     

    Puisses-tu comme une langue dont chaque mot sédimente

    floculer ce qu'il reste de nos vies dissolues.

  • Variations sur le Psaume 69

    I

     

    De la boue, surnageons.

    Sortons la tête, les épaules

    de la boue froide, surnageons.

    Cherchons la planche de salut.

    Accrochons nous aux bois flotté.

    Emporté par la boue froide

    et sans voix qui désuni, 

    déchire.

    La terre résiste et cède par plaques

    arrachées, entraînées par la poussée,

    La boue gronde et geint,

    inarticulée, étouffe.

    Crache. Crache-la par la bouche

    avant qu’elle n’emplisse tes poumons.

    La boue sans voix, fait taire la voix qui crie,

    cette voix qui implore la grâce,

    cette voix qui résonne et s’insurge.

    La boue gronde, inarticulée

    et bruit un rire de gorge sèche.

    Crache-la

     

    II

     

    La tourbe est spongieuse et retient l’eau.

    Les sphaignes habituées 

    à ces conditions de vie difficiles

    rejettent dans l’eau leur acidité

    qui contraint la dégradation des dépôts.

     

    Sur cette même tourbe, 

    poussent les droséra

    poussent des plantes foisonnantes

    des plantes carnivores qui ont faim.

    Sur la tourbe poussent des plantes

    qui se mangeraient elles-même,

    qui se mangeraient entre elles.

     

    III

     

    Elle aurait pu être le feu, 

    elle aurait pu être l’eau :

    elle est un moindre mal ;

    la boue ne brûle pas, 

    elle ne noie pas les plaines immenses 

    où son cours l’épanche. Elle dévaste

    Mais aux proportions raisonnables de la coulée.

    Elle abîme. S’insinue.

    Elle n’est jamais responsable 

    car la boue est non-lieu

    La boue n’aime que l’espace sans limite.

    n’a pas d’attache.

    Elle n’aime que la chute.

    Elle crée la chute pour poursuivre.

    Elle ravine, solliflue, colluvione.

    Terre menteuse, eau menteuse

    froide, sans voix, sans parole,

    Protège tes yeux de la boue qui durcit la cornée

    – le désastre a besoin d’un témoin.

     

    IV

     

    La tourbe est fossile.

    Elle est temps organique accumulé, amassé,

    décomposé pour faire matière régénérante.

    La tourbe blonde porte en elle 

    des milliers et des milliers

    de générations de débris

    qui refont surface.

     

    V

     

    A quoi bon élargir la souille

    où nous nous débattons ?

    La boue rit des efforts répétés pour sortir.

    Elle s’écoule et conflue et surgeonne, 

    venue de tout côté.

    La boue a fait des éléments,

    un langage qui craquelle et picote.

    Elle irrite ; et rit d’irriter.

    La bête aiguillonnée renâcle encore

    mais il lui faudrait une langue pendue 

    comme une bourde solide pour regagner la rive

    – une langue qui lui donne le courage,

    des mots indigènes qui la maintienne

    hors d’une boue molle et glissante.

    La boue froide est un barbarisme, 

    sans voix, sans parole et sans langue.

    Dans la boue, qui nous éloigne, 

    nous emporte comme - j’étais silencieux.

    Maintenant elle emplit ma gorge 

    et ma langue se relie

              – Je parlerai comme de juste

     

    VI

     

    La tourbe conserve les corps intacts

    des paysans jetés en terre,

    jetés en tourbe dans leur suaires de lin rugueux.

    La tourbe conserve les corps séché

    des générations passées.

     

    VII

     

    La boue s'écoule informe, 

    contourne ou renverse,

    mêle tout ─ ce qui doit être séparé,

    confond tout, l’eau et la terre, 

    la terre et le ciel.

    La boue est l’action confondue.

    Désordre Contrordre Fatrasie.

    Elle est froide, sans voix, sans parole, sans langue

    et sans verbe.

    Appelles au secours la pierre dure et ancrée que le torrent n’ébranle :

    « Exauce-moi ! Extirpe-moi ! Relève-moi

    Pierre dure insoluble

    minéral, roche imperméable du salut,

    que je m’accroche et me hisse

    que j’émerge, que je reprenne haleine

    et de mes mains crevassées et rougies

    que j’endigue le débord

    que je canalise le cours d’iniquité

    que je comble les ravines

    que je remblaie les veines ouvertes.

    Cela sera très bon”.

     

    VIII 

     

    La tourbe nous réchauffe,

    jetée en pain noir dans les cheminées.

    Les mottes dessiquées donnent au feu 

    une flamme assez claire, et beaucoup de fumée, 

    remplissent l'air d'une odeur sulfureuse de succin et terreuse.

    La tourbe crépite et gémit

     

    IX

     

    Maintenons les yeux le nez la bouche hors de la boue froide.

    Maintenons à la lumière nos corps, indistincts dans le lit boueux,

    pour qu’ils se rejoignent et s’unissent sur la berge,

    ivres de retrouvailles.

    Accrochons-nous au passé en archipel, 

    emporté par la boue, qui corrompt 

    pour gagner en puissance.

    La boue détruit l’obstacle 

    qui s’oppose à son incontinence ;

    s’abat d’autorité, sans autre raison 

    que son incontinence.

    La boue abat les plantes aux racines 

    superficielles. Les arbres trop haut.

    Elle excave. La boue remonte au jour, les vestiges du passé. 

    Elle s’en habille pour en rire. 

    Elle charrie des pantins ridicule 

    et les rejette sur les bord du torrent.

    La boue rend au désordre

    ce qui fait désormais désordre.

     

    X

     

    La tourbe est terre qui régénère la terre.

    La tourbe est substrat.

    La tourbe est terre qui mélangée à la terre

    retient l’eau et la rend verbe.

    Elle nourrit, cette douce tourbe blonde 

    des sphaignes et des droseras.

     

    XI

     

    Avant même que le soleil l'ait durci

    et fait craquelé sa peau,

    avant que le vent l'écale,

    creuse de tes mains les canaux de dérivation.

    Draine la boue dans les tuyaux de grès

    qui feront la terre ressuyée.

    Creuse la fosse pour rebâtir la maison.

    Enfonce les pieux jusqu'à atteindre 

    un sous sol enfin stable

    – L’horizon se trouve en profondeur, 

    là où l'on coule les fondations.

    Élève les murs dans la pierre la moins friable.

    Coupe les planches dans le chêne le plus dur.

    Mets-y tout ton zèle, 

    même si ta maison te dévore.

    Sinon dans la désolation,

    que nous restera-t-il ?

    Une boue infinie, une boue bégayante,

    et nos yeux pour pleurer

    et mêler à la terre des larmes

    pour ajouter de la boue 

                          à la boue.

     

  • Chateau Lacassagne

     

     

     

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  • Autochtonie

     

    I

     

     Ce serait une piètre oraison que s'excuser

    les morts manquent ;

    ils rendent bègues

     C'est un paysage qui se répète.

    Un paysage que j'ai vu enfant

    Les collines

    Et les sapins sombres

    Les fermes au standard européen

    Une terre paysanne dont je suis

    Mais dont je ne voulais pas.

    Je suis né de la terre

    D'une répétition

    Comme langue fourchue

     

    II

     

    Je suis né d'une terre paysanne qui m'effrayait.

    Je ne me reconnaissais pas comme du cru

    J'ai crains d'avoir les mains sombres,

    et fortes du cul-terreux

    par manque d'affection.

    L'affection vient avec l'éloignement,

    elle vient d'un sentiment

    de mitoyenneté,

    Je suis né d'un paysage en sursis et d'un foyer,

    D'une terre d'une génération de plus,

    précédant la précédente.

    Cette terre où l'on descend

    Les corps.

     

    III

     

    Je suis né d'une répétition qui me dépasse

    La nostalgie est un paysage de collines,

    de sapins sombres, et de pacages

    Promis au bâti.

    Je connais les noms de chaque famille

    qui habite ici - reliquats de fraternités contadines ;

    Il n'en reste que de vieux os

    Et des jardins potagers.

    La nostalgie est un désarroi

    qui m'est trop cher, et fragile pour être confié.

    Je céderai plus volontiers ma terre natale

    à qui accepte ses morts

    l'histoire, le mythe ou le mythe de l'histoire.

     

    IV

     

    Ce serait une piètre oraison que questionne

    Sur quelle extraction je me fonde.

    Pourquoi remonter à l'origine ?

    Je suis d'une généalogie rustique,

    D'une race agreste

    Qui ouvrageait la terre

    sans la posséder.

    Je ne saurais plus comprendre

    Comment se transmets la terre

    à travers les corps.

    Né d'une terre immémoriale

    Ma mémoire ne remonte pas au-delà

    De deux générations.

     

    V

     

    Comment se transmet-elle à travers les corps ?

    La terre, étends sa gouvernance

    selon tel catéchisme, positif.

    Les corps passés sont une masse,

    Plus nombreux que les vivants

    Que les morts se reposent,

    nous laisserons s'effacer leur stèle !

    Depuis la butte, je vois la terre où j'ai grandit

    un paysage de collines et de sapins sombres

    Le toit de la maison familiale

    C'est une bonne terre

    La terre de laquelle nous sommes nés,

    n'est jamais mauvaise.

     

    VI

     

    Nous la laissons se reposer, retournée tant de fois

    au soc, à la bêche, écrasées les mottes

    Chacun – en somme – nié d'une terre

    oubliée, en jachère ;

    l'histoire est morte

    l'avenir est hors sol

    l'origine contrôlée

    l'homme n'est qu'un outil qui s'échange.

    Un plan d'occupation des sols est une conquête méthodique

    – une guerre de position contre le paysage

    Contre la civilisation vivrière de champs et vergers et des pacages

    Je suis nié d'une terre vivrière et vivante

    Et pourtant l'autochtone.

     

    VII

     

    Ce serait une piètre oraison que poursuivre.

    Je suis d'une génération qui pourchasse ;

    et celui qui pourchasse ne sait plus,

    Se vit comme l'interruption,

    interruptible.

    Je n'ai pas choisi de travailler la terre, sciemment

    Déjà, la génération précédente

    - non plus

    La génération précédent la précédente

    N'en a pas montré trop de regrets

    Nous avions honte de n'être pas urbains.

    J'ai fait des études ; elles m'ont fait perdre

    toute détermination.

     

    VIII

     

    Je suis le puîné d'une terre qui ne décline pas

    Son rejeton,

    à l'heure du remembrement

    C'est un paysage arraché de haies, de murets

    et de frondaisons que j'ai vu – en dernier

    L'inédit et les appétences arrachent les haies, les murets

    Et les frondaisons...

    arracheraient les stèles s'ils le pouvait.

    La terre vivrière ne rapporte plus rien

    - L'on connaît la fuite

    la terre paysanne n'est plus retournée,

    à peine nous retournerons

    à la terre.